Verticale de fureur

de Stéphanie Marchais

Éditions Quartett, 2009

Le spectacle a été créé du 19 au 24 novembre et du 28 novembre au 3 décembre 2010 au Théâtre des Marronniers à Lyon.

Recréation à La Célestine, Théâtre des Célestins Lyon les 8, 9, 14, 15 et 16 décembre 2011.

Production 2010 : Théâtre Narration et Les Journées d’auteurs de Lyon

Production 2011 : Groupe Décembre

Mise en scène : Michel PRUNER

Jeu : Christian TAPONARD et Romaine FRIESS

Lumière : Philippe ANDRIEUX

Scénographie : Nicolas PRUNER

Bande son : Alain LAMARCHE

Conception du dossier de présentation : Benjamin DUPRÉ

Photos : Emile ZEIZIG

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Captations vidéos : Antonin BACHÈS et Sylvestre MERCIER

Bande-annonce : Slim DAKHLAOUI

Texte lauréat des Journées de Lyon des auteurs de théâtre 2008, mis en espace à la Médiathèque de Lyon Vaise le 6 décembre 2008, avec Christian TAPONARD et Gislaine DRAHY et au festival Europe et Cies / Lyon le 16 mai 2009 Avec Christian TAPONARD et Romaine FRIESS.

Dans un cimetière juif perdu en périphérie d’une grande métropole, un homme délivre toute la charge de secret de sa vie. Devant la tombe d’une femme, qu’il a soigneusement choisie pour son passage à l’acte, son indécente confession ressemble à une ultime et grotesque profanation

  • Le texte

Verticale de fureur de Stéphanie Marchais est le soliloque nocturne d’un ancien nazi face à la tombe d’une jeune femme juive, dans un cimetière, qu’il s’apprête, dit-il, à profaner.

D’origine hongroise, Milan Brasov a réussi à se soustraire à toute poursuite en changeant d’identité.

Quarante ans plus tard, il vient, dans un cimetière désert, quémander le pardon de ses actes d’autrefois, en feignant un repentir qui s’avère rapidement de pure forme.

Car, au fur et à mesure de son impudique confession, se dévoile peu à peu le monstre qu’il est resté…

Dans le silence de ce cimetière juif qu’avec ses acolytes Brasov s’apprête à faire sauter, il apparaît de plus en plus clairement que la nostalgie de ces années noires reste intacte : ici et là, le ventre où sommeille la bête immonde dont parlait Brecht est encore chaud, tout près de nous.

Le texte de Stéphanie MARCHAIS, construit comme une lente descente en enfer, nous fait sentir que les déviances qui conduisent aux crimes imprescriptibles ne sont pas le fait d’êtres exceptionnels, mais résultent souvent d’une série de frustrations et de vexations intimes qui peuvent toucher n’importe quel être humain.

En ce sens, sans chercher le moins du monde à justifier son odieux personnage, l’auteur dépasse le cadre historique où se situent les agissements criminels de Milan Brasov, alias Dieter Lehrbach, exécutant zélé d’une folie partagée et donne à son propos une dimension universelle.

Texte éprouvant tant la tension dramatique est portée tout au long à son paroxysme, Verticale de fureur déroule une série de postures derrière lesquelles le protagoniste s’abrite pour esquiver sa responsabilité.

Séducteur, Brasov renouvelle la donjuanesque invitation à dîner du vif au mort, et tente cyniquement d’acheter, à coup de billets de banque, la compassion de sa victime pour mieux obtenir le pardon de ses crimes.

Jouant de son inquiétante folie, il révèle une schizophrénie très élaborée.

Affectant de n’être qu’un médiocre fonctionnaire dépassé par une tâche dont il n’assume pas la monstruosité, livrant des bribes de son passé intime comme autant d’aveux indécents, il sollicite un pardon impossible.

Sa confession, qui voudrait effacer son ignominie, n’est en fait qu’une ultime et grotesque, clownesque, profanation.

Pitoyable pénitent, et surtout comédien impénitent qui joue avec maestria de tous les trucs du métier, Brasov, debout, assis, couché, devant cette tombe, apparaît comme un cabotin qui déploie toute une palette d’effets pour piéger la (mauvaise) conscience des spectateurs.

Et comme dans Richard III, le théâtre se transforme alors en miroir impitoyable de la monstruosité humaine.

Gislaine DRAHY – 2010 –

  • Propos de mise en scène

Les monologues, quand ils se prolongent, sont souvent rébarbatifs. Or le soliloque écrit par Stéphanie Marchais doit prendre le spectateur et ne plus le lâcher.

C’est pourquoi il m’a semblé nécessaire d’introduire sur scène un second personnage, non prévu par l’auteur ; ou du moins existant virtuellement dans le texte en tant que destinataire de la pseudo-confession de Milan Brasov, destinataire sans réponse, puisque morte. D’où la présence sur scène de cette femme morte qu’incarne une comédienne dont la réalité physique accentue à elle seule l’outrage que le tortionnaire fait subir à sa

victime.

Cette présence muette offre deux avantages. Tout d’abord, par son silence obstiné, elle indique qu’il est impossible et hors de question de répondre à la logorrhée de ce nostalgique d’un sinistre passé qu’il n’a aucunement renié.

Dialoguer avec ce virtuose de la mauvaise foi, ce serait prendre en considération la piètre argumentation qu’il déploie pour justifier l’injustifiable. Lui attribuer un début d’intérêt. À des justifications indécentes, seul le silence peut répondre.

Et puis, cette femme, qui ne parle pas mais regarde – ou ne regarde pas, selon les moments – son bourreau, le transforme du même coup en cabotin effectuant un numéro qui ne porte pas et qui n’a d’autre fin que de tenter de nous mystifier.

Spectatrice passive, par la force de son seul regard, elle théâtralise immédiatement Brasov et le désigne comme un clown en représentation, dont tous les effets foirent. C’est par elle que le propos politique de la pièce devient clair, qui incite à une lucidité sans faille.

Reste à créer l’espace de cette mise à nu de l’ignominie, de ce dévoilement des pièges de la société du spectacle.

Un décor aussi dépouillé que possible : quelques pierres tombales, sans doute, pour indiquer le cimetière ; des feuilles mortes peut-être, évoquant tous ces disparus partis en fumée à cause de la barbarie nazie. Et puis, au lointain, la présence, suggérée plutôt que montrée, d’une mégapole actuelle dans laquelle fermente encore un racisme au quotidien, bien loin d’avoir disparu. Ce qui donne tout son sens au propos de Stéphanie

MARCHAIS…

Ensuite, il s’agira de porter Christian TAPONARD à l’incandescence de ce personnage qu’à aucun moment – et le défi pour un comédien est de taille – il ne doit rendre sympathique. Et l’aider à dénuder progressivement ce Milan Brasov bardé de certitudes et enfermé dans son aveuglement. Ce qui ne constitue pas une simple promenade de santé…

Michel PRUNER – 2010 –

  • Interpréter un monstre

Un abîme, un vertige. Un texte cependant d’une implacable construction. Sans complaisance, sans tricherie, jamais…

Un homme, en toute indécence, de manière grotesque, quasi clownesque, déballe sa terrifiante et dérisoire vie sur la tombe d’une Juive, inconnue de lui, choisie au hasard… Et pourtant cet homme, par-delà la folie noire de son âme, est organisé et prévoyant ; « un bon petit rat germanique », méthodique et consciencieux, maniaque sans doute, obsessionnel sûrement.

Ce qu’il lui délivre, c’est l’odieuse justification de ses crimes par un traumatisme d’enfance lié au manque d’amour et de reconnaissance de son père à son égard.

Justification du pire, qui ici ne peut être nommé sans trop révéler, justification de l’ignoble, dévoilement d’un passage à l’acte transgressif et sans retour.

Milan Brasov – ou plutôt Dieter Lehrbach – ne demande même pas le pardon, n’attend aucune rédemption. Il ne regrette peut-être même rien au fond de lui-même, même s’il paraît rongé de remords. Il ne peut être question d’empathie envers ce monstre, mais comme dans tout monstre sa part d’humanité est réelle, et toute la problématique de l’œuvre est contenue dans cette question ; un monstre appartient-il toujours à la communauté humaine ? A partir de quelle limite peut-on expliquer et justifier le crime de masse. La responsabilité de ceux qui n’étaient « jamais sur le terrain, toujours à l’ombre des bureaux », mais qui constituaient les indispensables rouages de la machine d’extermination nazie est-elle moindre que celle des tortionnaires ?

Jouer un monstre, n’est-ce pas justement rendre lisible sa part d’humanité sans jamais l’absoudre. Refuser le piège de l’héroïcisation comme celui de la condamnation manichéenne…

Christian TAPONARD – 2011 –

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