La peur dEvore l’Ame

Rainer Werner FASSBINDER

Texte français Michel DEUTSCH

L’Arche Éditeur

DOSSIER DRAMATURGIQUE ET PÉDAGOGIQUE

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Pour nous, oiseaux de paradis, ça va devenir de plus en plus difficile.
Je me reposerai quand je serai mort.
Comment serais-je en paix avec un monde qui me rend malade ?
La seule chose que j’accepte, c’est le désespoir.
Les hommes ne peuvent pas être seuls, et pas non plus ensemble.

Rainer Werner FASSBINDER

Le bonheur n’est pas toujours joyeux.

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La peur dévore l’âme (1973), texte français de Michel DEUTSCH, l’Arche Editeur, précédé en ouverture et clos en épilogue d’un court montage composé de fragments de l’œuvre.

Mise en scène : Christian TAPONARD

Musique : Alain BERT

Espace scénique : Michel PAULET en collaboration avec

Christian TAPONARD et Pierre MELE

Lumières : Michel PAULET

Costumes : Angelina HERRERO

Assistante costumes : Aurora VANDORSSELAER

Musique additionnelle : Elhadj Mohamed ELAANKA,

Dammane ELMARACHI, Nick CAVE et Carlos GARDEL

Chargée de communication : Sylvie FLAMANT

Assistante à la mise en scène : Estelle GONTHIER

Photographies : David ANEMIAN

Administration : Sylvie MEGE

Constructeurs : Christophe PETIT, Didier RAYMOND

et Isabelle REGNAULT

Interprétation : Sophie ALLOT, Alain BERT, Abdou ELAODI,

Nadine EMIN, John FERNIE-BOUCHARD, Corinne MÉRIC

et Vincent TESSIER

Coproduction Groupe DÉCEMBRE

et COMÉDIE DE VALENCE

Avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Rh’ne-Alpes au titre de l’aide à la production

Remerciements à Bruno BONNEL, Katharina von BISMARCK, Karlheinz BRAUN, Enzo CORMANN, Daniel LEMAHIEU

DISTRIBUTION

Les acteurs du groupe DECEMBRE interprètent les acteurs d’une troupe qui s’apprête à donner une Générale publique de La peur dévore l’âme.

Sophie ALLOT : Brigitte puis Emmi dans La Peur dévore l’âme

Alain BERT : Peer puis Eugen, Deuxième Policier, Le Contremaître

Abdou ELAODI : l’acteur Salem puis le personnage Salem

Nadine EMIN : Hanna puis Barbara, Mme MÜNCHMEYER, Frieda, L’Epicière

John FERNIE-BOUCHARD : Elvira puis GRUBER, L’Epicier, Premier Policier, Yolanda, Le Monsieur

Corinne MÉRIC : Irm puis Katharina, Mme KARGES, Paula, Krista

Michel PAULET : Korbinian

Vincent TESSIER : Lou puis Fouad, Le Garçon, Bruno, Le Médecin

Remerciements aux Cahiers du Cinéma pour leur aimable autorisation d’utiliser certaines citations contenues dans ce dossier.

Le texte de La peur dévore l’âme, traduction fidèle par Michel DEUTSCH du scénario du film éponyme réalisé en 1973 par Rainer Werner FASSBINDER et sorti en France sous le titre Tous les autres s’appellent Ali (en allemand Angst essen Seele auf), dans une langue tendue et violente, cernant au plus près les désirs et les peurs des personnages, met en jeu, sous la lumière crue d’une société impitoyable, arrogante et repliée sur elle-même, une utopie d’amour.

Emmi et Salem, au regard des préjugés raciaux de l’Allemagne des années 70, n’ont pas d’espace pour s’aimer. Ils sont obligés d’avancer sur une route encombrée de haine, de frustrations et de jalousies jusqu’à ce qu’enfin leur amour soit toléré. Ils parviennent à gagner ce combat mais le prix qu’ils doivent payer dans leur chair et dans leur âme est encore bien trop lourd.

Et pourtant, nous ne sommes pas ici en présence d’un pessimisme radical, mais d’une lucidité infatigable qui jamais ne renonce à explorer les chemins de liberté.

La création La peur dévore l’âme n’est en fait pas exclusivement formée du texte éponyme, même si celui-ci constitue le cœur du spectacle. Un court montage, construit à partir de fragments de l’œuvre de Rainer Werner FASSBINDER (dialogues de films, répliques de pièces, extraits d’entretiens et d’interviews, poèmes parfois chantés) ouvre le spectacle et le conclut.

Une troupe d’acteurs, réunis autour de la figure d’un jeune auteur-metteur en scène (double métaphorique de Rainer Werner FASSBINDER), tyrannique mais profondément admiré et passionnément désiré par ses compagnons, s’apprête à donner une Générale publique du texte La peur dévore l’âme.

A la suite d’une crise interne, la représentation ne démarre pas et chacun des sept protagonistes, sans retenue malgré la présence du public, laisse exploser des situations conflictuelles concernant ses relations privées ou professionnelles au sein de la troupe.

Les conflits, tels des fils tendus au-dessus du vide, prêts à se rompre, se croisent, se superposent, se font écho, se percutent, formant un oratorio incandescent, au paroxysme des intentions et des émotions…

Mais le professionnalisme de tous a raison du chaos des sentiments et la fiction théâtrale représentée par La peur dévore l’âme peut se dérouler sans nouveaux accidents, fable limpide et cruelle sur le regard que les uns (représentants majoritaires d’une Allemagne froide et intolérante qui ne peuvent accepter de regarder la différence en face de peur de reconnaître qu’eux-mêmes ont aussi une âme et que la souffrance de l’autre n’est pas si éloignée de la leur) portent sur les autres (représentés ici par le travailleur immigré, instrumentalisé et nié dans ce qui le caractérise en tant qu’être particulier). Les conflits privés que les membres de la troupe laissent voir, comme de manière impromptue, dans un temps volé à la représentation, résonnent en Écho aux thématiques que traverse le texte de La peur dévore l’âme.

La parole de Rainer Werner FASSBINDER est une parole d’alarme et de résistance ; elle nous est plus que jamais nécessaire au cœur d’une Europe o la peur de l’autre continue d’ouvrir la porte aux xénophobies destructrices…

Sur les multiples chemins de l’œuvre, les personnages centraux de Rainer Werner FASSBINDER sont des exclus obstinés, des combattants pathétiques et farouches, désespérés et trop lucides. Ils ont une exigence si grande qu’ils refusent tout compromis ; à la fois victimes et bourreaux, ils ne veulent plus être seuls dans leur tentative d’envol. Seul l’amour peut les sauver. Mais ils sont terriblement seuls face à l’inertie, à la lâcheté, à l’indifférence d’un corps social, politique et Économique pour qui les qualités profondes d’un être humain et son aspiration au bonheur ne se trouvent pas au centre de l’espace du monde.

Combat de titan, à la fin duquel souvent ils se retrouvent k.o. debout abandonnés, trahis, tels Maria Braun, Effi Briest, Lili Marleen, Franz Biberkopf, Maman Küsters, etc…

Cependant, pour Emmi et Salem, l’étroit et périlleux chemin qui mène au bonheur joyeux reste ouvert… C.TAPONARD

SUR L’ŒUVRE

La parole de Rainer-Werner FASSBINDER nous fait aujourd’hui cruellement défaut ; quelle autre voix que la sienne a su démonter d’une manière aussi sensible, aussi précise et aussi violente les mécanismes de l’oppression ? Toute son œuvre théâtrale et filmique s’attache à mettre en jeu des personnages rejetés, exclus parce qu’ils sont différents, parce qu’ils représentent l’autre que la société (l’Allemagne bourgeoise du XIXème siècle, l’Allemagne nazie ou l’Allemagne du miracle Économique) ne peut tolérer et qu’elle se chargera d’éliminer, directement ou de manière sournoise.

Cet autre insupportable, c’est le travailleur immigré, l’Étranger l’homosexuel (homme ou femme), le travesti ou le transsexuel Cependant, pour FASSBINDER, la figure archétypique de l’opprimé reste la femme. Un grand nombre de celles qui se trouvent au centre de ses pièces ou de ses films possèdent une incroyable vitalité et sont de véritables combattantes, mais le poids de l’oppression est tel qu’elles sont souvent obligées d’utiliser des moyens extrêmes, comme par exemple le meurtre pour Geesche dans Liberté à Brême, afin d’affirmer et de conquérir leur liberté. D’autres, plus démunies, sont broyées par l’homme ou le milieu social dont elles dépendent, ou bien par un système politico-financier dont elles sont les jouets impuissants. L’amour véritable, dans l’œuvre de Fassbinder, semble impossible ; les êtres qui s’engagent dans une passion authentique, sans calcul ni tricherie, se heurtent aux pressions du groupe social ou aux intérêts égoïstes de leur partenaire. Par ailleurs, la peur qui tenaille les personnages de FASSBINDER les laisse sans défense face aux pouvoirs d’oppression. La peur dévore l’âme, mais ce n’est que par l’affirmation de sa singularité, de sa compétence, de sa passion, que l’individu peut lutter contre le fascisme rampant dont Rainer Werner FASSBINDER traque inlassablement le cheminement insidieux.

La composition théâtrale La peur dévore l’âme tente de donner à entendre la parole de Rainer Werner FASSBINDER, dans toute son acuité et ses brûlures…

Parole riche, intransigeante, révélant un amour impitoyable mais immense de l’autre, toujours dissemblable, souvent désiré, mais qui peut se révéler aussi décevant et cruel, regard fraternel et lucide sur tous ces êtres humiliés parce que différents, dérangeants et blessés parce que toujours en quête de trop d’amour au regard des normes de nos sociétés marchandes. Les sept personnages de ce parcours portent les prénoms des plus proches collaborateurs et amis de Rainer ; l’un d’eux pourrait être son double, mais n’a-t-il pas laissé une part de lui-même en chacune des femmes et chacun des hommes qui l’ont accompagné tout au long de la fulgurante aventure que furent son œuvre et sa vie ? Ils peuvent aller jusqu’à la destruction de cet univers, dont ils refusent l’ordre figé qui sans cesse les renvoie à l’aliénation, tant la singularité est dangereuse et ennemie des pouvoirs… A moins de choisir la mort volontaire ou d’emprunter le chemin qui mène à la folie…

Si Rainer Werner FASSBINDER a tant travaillé, c’est que sa volonté d’être était si absolue qu’il savait que le temps lui était compté. Ceux qui l’ont suivi et accompagné tout au long de sa vie et de son œuvre, malgré sa tyrannie, savaient bien que la maison qu’ils allaient l’aider à construire allait être belle et indispensable, possédant la cohérence, la force et l’universalité d’une œuvre comme La Comédie humaine de BALZAC. Mais celle de FASSBINDER a l’inéluctabilité des plus grandes tragédies…

La mort de Rainer Werner FASSBINDER a laissé un vide immense, mais son œuvre demeure, tranchante et lumineuse, trace vivante et active, preuve bouleversante qu’il n’a jamais renoncé à construire ce pays d’utopie qui est l’affirmation de sa liberté et le reflet des hautes aspirations de son enfance perdue…

C. TAPONARD

PISTES POUR LA SCENOGRAPHIE

La vie et l’œuvre de FASSBINDER font partie intégrante de la même lutte pour ne jamais renoncer, abdiquer face à toutes les forces d’oppression, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. FASSBINDER et son Équipe de fidèles travaillaient tant qu’il n’y avait sans doute plus vraiment de frontière entre le jour et la nuit, l’extérieur et l’intérieur, l’appartement lieu de vie et l’appartement lieu de tournage, entre le plateau de théâtre et le plateau de cinéma, entre la chambre et le bureau…

Une formidable fuite en avant, une boulimie de travail, une frénésie de désirs et de quête du sens créaient une ligne de tension entre tous ces espaces.

Toute la dramaturgie du spectacle repose ainsi sur cette fondation-là : ce qui est mis en jeu, c’est l’existence d’une troupe, transposition fictive de celle qui a suivi FASSBINDER dans sa prodigieuse aventure de théâtre et de cinéma.

Chacun de ses membres, pendant le prologue, va tisser des liens d’amour, d’intérêt et de haine qui formeront un réseau de tensions, fils invisibles pouvant se rompre à tout moment.

Tout se passe toujours sous le double regard des autres et des spectateurs. De même qu’Emmi et Salem dans La peur dévore l’âme sont toujours sous surveillance, épiés, jugés, jalousés. Même lorsqu’ils sont seuls dans l’appartement d’Emmi, ces regards semblent encore posés sur eux, les empêchant d’être pleinement dans ce bonheur joyeux, tellement ils sont abîmés, blessés par le regard de la majorité, expression de toute une société exclusive et lâche.

L’espace scénique se présente comme un lieu à la fois ouvert et clos, espace de la tragédie, espace où le privé n’aurait plus de place réservée, espace proposant de manière radicale un centre et une périphérie, un espace à la fois éclaté et concentré, d’enfermement et de fuite…

Emmi et Salem sont entourés, cernés en permanence, et, à tout moment, ceux qui refusent leur amour peuvent pénétrer dans leur intimité.

Le projet scénographique Évacue donc d’emblée toute tentation naturaliste, toute volonté de représenter précisément chacun des lieux de la fable qui soutient La peur dévore l’âme.

Ce lieu ouvert est aussi un espace d’où l’on ne sort pas, espace de confrontation et de désir dans lequel des êtres exclus sont piégés, placés sous le feu croisé des regards et de la peur des autres ; ce pourrait être l’espace du théâtre antique, celui de la tragédie exposée aux yeux de la Cité, l’abattoir du Berlin Alexanderplatz d’Alfred DÖBLIN ou de L’Année des treize lunes de FASSBINDER, ou bien encore le couloir étroit, profond et blanc contre les parois duquel se heurte sans cesse Veronika Voss, enfermée dans l’Éblouissement fatal de la morphine dont elle est l’esclave. Il s’agit également d’un espace de la fabrication, au plus près du corps en mouvement des acteurs et du cheminement intérieur de chacun des protagonistes…

Mais on peut également imaginer un chantier, une maison inachevée où l’on distingue déjà les différentes pièces mais dont les murs seraient en cours de réalisation, fragments de cette maison que Rainer Werner FASSBINDER rêvait de construire avec l’ensemble de ses films.

C.TAPONARD

Mention Légales
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