Le VerfUgbar aux Enfers de Germaine TILLION

Coproduction Centre de Pratique Musicale d’Annecy, École de Musique de Seynod, Auditorium scène régionale de Seynod, collaboration artistique du groupe Décembre. Mise en scène Christian TAPONARD.

Création à l’Auditorium de Seynod les 6 et 7 mai 2009.

Reprise au Centre culturel Les Allobroges à Cluses le 10 avril 2010 et le 5 juin 2010 à l’Auditorium de Seynod.

Germaine TILLION, née le 30 mai 1907 à Allègre (Haute-Loire) et morte le 19 avril 2008 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), ethnologue et résistante.

Germaine TILLION a écrit ce texte lorsqu’elle était prisonnière à Ravensbrück, pour soutenir le moral de ses camarades de captivité. Elle a ainsi inventé des chants pour lesquels elle indiquait des musiques qui lui étaient familières et des dialogues d’une noire ironie. En se moquant de l’horreur pour mieux la raconter et la dénoncer, Germaine TILLION crée un univers fort et dérangeant ; elle choisit la forme de l’opérette pour mieux dynamiter son sujet et ne jamais être dans le registre de la déploration.

C’est un flot de lumière qui dévoile le pays des ombres et de la mort, un exorcisme que cette femme exemplaire voulait offrir à ses compagnes de détention pour les amener à rire de leur indicible malheur, et de cette façon bien sûr à le nommer, ce malheur, afin d’essayer de le combattre…

C’est en ethnologue qu’elle conjure l’horreur des camps de concentration et qu’elle affronte le Mal absolu, le Nazisme à l’œuvre, négateur d’humanité.

Ses qualités d’observatrice mettent à distance l’objet de son étude, et en même temps son empathie profonde avec tout humain en souffrance lui permet de construire de vrais dialogues de théâtre, vivants, drôles et émouvants.

Pour donner vie, sur un plateau de théâtre, à cette Opérette-Revue à Ravensbrück, où le chant et la musique ont une place prépondérante, il faut partir de l’espace, ce lieu incertain où tout se joue, univers à la fois clos et ouvert, prison kafkaïenne mais aussi théâtre des peurs et des espoirs fous.

Sur la scène d’une sorte de cabaret du néant, les Verfügbars – les « disponibles », condamnés à toutes les corvées les plus dures et les plus dégradantes – sont exhibés par le Naturaliste, cynique et dérisoire meneur de revue, sinistre relent d’un colonialisme arrogant.

Celui-ci vient en effet faire une conférence sur ce peuple étrange et inférieur des Verfügbars. Autour, le monde est menaçant, le pire peut à chaque instant advenir et le sinistre bruit des trains de la mort interrompre brutalement les chants et la parole…

Les musiciens font partie de cet univers et ce sont peut-être des détenus volontaires, recrutés pour leur talent artistique…

L’espace est un no man’s land, une salle désaffectée d’un improbable lieu d’enfermement et d’errance, entre gare à l’abandon et hôpital réquisitionné pour devenir un centre de rétention.

Cet espace est saturé de lumière crue. Parfois arrivent des ambiances colorées, faisant des pauvres Verfügbars les acteurs d’une revue tragi-comique.

Parfois aussi, lorsqu’ils se prennent au jeu de leur imagination, le monde se transforme, le temps d’un rêve éphémère. Mais toujours les projecteurs violents du camp les ramènent à l’impossible réalité…

Le théâtre musical que propose Germaine TILLION demande aux interprètes de la joie et de l’engagement. Il y a une dimension à la fois épique et cathartique dans son œuvre. On pourrait presque penser à la force dénonciatrice d’un Bertolt BRECHT ou à l’expressionnisme à la fois hypersensible et chirurgical d’un Franck WEDEKIND.

Mais avant toute chose, c’est bien d’un acte de résistance qu’il s’agit avec cette pièce ; un acte de résistance pour survivre, pour préserver jusqu’au bout du tunnel cette part d’amour et de fraternité qui nous fondent en tant qu’être humain, afin que l’impensable barbarie nazie ne triomphe pas de la beauté des âmes, car seule la dignité préservée peut être salvatrice…

Christian TAPONARD.

    Textes en écho…

« Je rapporte ici ce que j’ai vécu.

L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n’aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu’au bout, des hommes.

Les héros que nous connaissons, de l’histoire ou des littératures, qu’ils aient créé l’amour, la solitude, l’angoisse de l’être ou du non-être, la vengeance, qu’ils se soient dressés contre l’injustice, l’humiliation, nous ne croyons pas qu’ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d’appartenance à l’espèce.

La mise en question de la qualité d’homme provoque une revendication presque biologique d’appartenance à l’espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la « nature » et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l’espèce donc, et pour finir, surtout à concevoir une vue claire de son unité indivisible. »

Robert ANTELME – L’espèce humaine (1946-1947), Éditions Gallimard, 1957, coll. TEL –

« Dans mon cœur il est une étoile

Qui m’inonde de ses rayons

Elle brille dans mes yeux pâles

Et rutile sous mes haillons… »

Germaine TILLION – Camp de Ravensbrück, 1944 –

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